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L'innovation à l'épreuve de la philosophie

L'innovation à l'épreuve de la philosophie

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Xavier Pavie, Professeur à l’ESSEC Business School, associé à l’Institut de Recherches Philosophiques est auteur de nombreux ouvrages sur l’innovation responsable. Retrouvez ici quelques éléments clés et nos réflexions autour de son dernier ouvrage L’innovation à l’épreuve de la philosophie paru en 2018 aux éditions PUF.

Dans cet ouvrage, Xavier Pavie part de plusieurs constats :

  • Le financement de l’innovation, qu’il soit public ou privé, est de plus en plus tourné vers une recherche de profit et de rentabilité économique, non pas la recherche d’un bien commun

  • La situation environnementale met en danger l’espèce humaine, et nous devons nous transformer –  innover – pour réagir à cette menace

  • L’innovateur d’aujourd’hui ne maitrise pas ses innovations, qui lui échappent (nanotechnologies qu’on retrouve dans les eaux de lavage, plastique que nous ne recyclons pas…) et qu’il ne pense pas.

 
 

“Comme Viktor Frankenstein dépassé par sa créature, l’innovateur fuit vers d’autres créations laissant aux autres le soin de régler le problème qu’il a pourtant lui-même créé.”

“Peut-être y-a-t-il aujourd’hui la nécessité d’interroger l’innovation non pas sur sa pertinence économique – le marché est là pour s’en charger – mais sur ce qu’elle apporte en tant qu’innovation”

En effet, laissons au marché ce qu’il sait faire de mieux, et utilisons notre énergie non pas pour trouver le prochain produit qui fera un carton, mais bien celui qui répondra à nos enjeux urgents. C’est finalement ce qui arrive à GE Healthcare lorsque l’entreprise développe l’électrocardiogramme frugal : le modèle économique se révèle de lui-même car le produit est bon et pertinent – même sur des marchés qui n’étaient pas envisagés ! – et finalement le produit, pensé pour répondre à un enjeu de santé, répond en effet à une problématique majeure d’inclusion.

Pour en arriver là, l’une des thèses fondamentale du livre est qu’il ne suffit pas de changer les processus d’innovation et les systèmes mais bien les innovateurs eux-mêmes. En effet, chez GE Healthcare c’est avant tout une impulsion des équipes R&D, un profond désir de répondre à une situation qu’ils trouvaient inacceptables qui a lancé le projet.

“C’est plus l’innovateur que l’innovation qui doit être finalement questionné, et les questions concernant les conséquences des innovations, leurs rôles, leurs développements ne sont qu’une question d’actes réalisés”

Il faut procéder à une prise de conscience et même à ce que Xavier Pavie appelle une « conversion ».

Pour pouvoir adopter cette nouvelle posture, l’innovateur actuel doit disparaitre et laisser apparaitre un nouvel homme, cet homme doit être :

  • Libre. En effet, il n’est possible d’être responsable – c’est-à-dire de répondre de ses actes – que si on est libre des choix que l’on fait, des actes que l’on prend, des promesses que l’on fait.

“La technique a obtenu son autonomie en disculpant celui qui la sert d’avoir à s’interroger sur ce qu’il fait”

Véritable problème aujourd’hui, l’innovateur est comme pris dans les rouages d’un système, il pense qu’il n’a pas le choix : que ce soit les ordres de la hiérarchie, les décisions techniques obscures ou non explicitées, les impératifs économiques de la fin du trimestre – le nombre de raisons de ne pas penser ses actions est innombrable.

  • Empathique. Xavier Pavie revient sur et développe l’idée de l’innovation-care : une innovation qui prend en compte avec empathie toute les interdépendances entre individus, entreprises, nations, citoyens, environnement mais aussi les porosités entre la sphère publique et la sphère privé. L’innovation-care va donc prendre en compte l’avis d’autrui mais aller bien au-delà du sens du « human-centric design » qui en fait se restreint au client. Ici c’est tous ceux que l’innovation concerne qui doivent être pris en compte (et cela peut aussi bien inclure les clients et bénéficiaires, que les humains qui seront touchés par les externalités négatives ou même les oiseaux ou les insectes !).

“L’innovateur doit non seulement comprendre qu’il est en même temps citoyen, mais aussi que la sphère professionnelle est là pour prendre soin de la sphère privée”

Cette conversion et nouvelle posture, Xavier Pavie propose à l’innovateur de les trouver en adoptant les exercices spirituels proposés par les philosophes antiques. Et ce retour à la philosophie, cette observation de l’innovation moderne à la lentille de la philosophie est la question majeure qu’un tel ouvrage permet de poser. Comme le dit Xavier Pavie : « La philosophie elle-même n’a-t-elle pas déserté ces champs de l’innovation et du progrès ? »

A mon sens, au-delà de permettre la réflexion des innovateurs, il s’agit sûrement aujourd’hui de pousser les réflexions philosophiques engagées par Hans Jonas ou encore Hannah Arendt pour replacer la philosophie dans le quotidien et lui permettre de mettre au défi l’innovation.

Pour en savoir plus, retrouvez un épisode dédié de l’émission La Conversation scientifique sur France Culture.

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