Tout le monde ne peut pas activer cette efficacité. Les promesses innovations et les promesses écologiques ne peuvent pas être énoncées par n’importe qui. Un grand industriel comme Total peut parler de sa capacité à réduire ses émissions de CO2 grâce aux développements de technologies de captation de carbone. Si un simple particulier tient ce discours, il ne sera pas crédible puisqu’il n’est pas en mesure de développer ces technologies. Nous accordons notre confiance à des acteurs très particuliers pour ce type de discours : en grande majorité les industriels. L’historien François Jarrige nous rappelle que la confiance dans les promesses innovations a moins de 200 ans [2]. Il y a deux siècles elles étaient accueillies avec beaucoup de scepticisme : face à la crise écologique (déforestation), politique (peur du peuple) et sociale (paupérisation et montée des inégalités), le fait que l’innovation technologique puisse apporter des réponses aux problèmes vécus n’était pas une évidence. Pourtant, « La science ouvre un nouveau régime de promesse » nous dit François Jarrige. Il nous indique que nous ne nous tournons plus vers la religion ou l’État désormais, que le « politique » en général a été « mis en impuissance » et que c’est pour cela que l’on attend de la science et de la technique de répondre à nos enjeux actuels. C’est ce qu’il appelle la « réactivation des promesses scientifiques ».
Savoir qui a le droit de parler de l’avenir revient en partie à savoir qui a le droit d’en être l’auteur. Ceux à qui l’on accorde notre confiance en écoutant leurs promesses sont aujourd’hui ceux qui ont le plus de pouvoir réel sur l’avenir. Bien sûr la légitimité de la parole est ancrée dans des raisons rationnelles, mais cela n’est pas suffisant. L’ouvrage Confiance, Croyance, Crédit dans les mondes industriels sous la direction de Bernard Stiegler, nous montre que les acteurs perçus comme légitimes pour promettre, et que l’on va croire, ne sont pas forcément les plus à même de tenir leurs promesses mais ceux en qui nous avons confiance et dont nous avons une bonne perception [3]. Au-delà des capacités techniques, c’est l’adhésion aux discours de la part de la communauté qui rend les promesses efficaces. Ce n’est donc pas parce que Total peut développer une technologie de captation de carbone (ce qui n’est d’ailleurs pas sûr) que nous croyons qu’il le peut, mais parce que nous le croyons que nous décidons de nous fier à l’avenir qui nous est proposé, et que nous donnons son pouvoir à la promesse en agissant aujourd’hui comme si ce qui était promis était assuré. Les promesses permettent aux acteurs qui les énoncent, pour eux-mêmes mais aussi pour tous ceux qui y croient, d’agir aujourd’hui comme s’ils pouvaient faire plier le futur selon leurs désirs.
Pourtant, les promesses de solutions techniques à venir comme les technologies de captation du dioxyde de carbone sont un piège dangereux qui nous poussent à augmenter encore davantage notre consommation et nos émissions de CO2, nous alertent des scientifiques du climat [4]. Alors que la promesse ne sera pas forcément tenue, elle est diablement efficace : tous les acteurs qui y croient ne changent pas leurs habitudes de consommation, puisqu’une solution va arriver, c’est certain ! En agissant ainsi, ce qu’on croyait éviter (une augmentation du CO2 dans l’atmosphère) est précisément ce qui arrive [5]. Les promesses industrielles contemporaines sont efficaces, mais elles sont bien souvent contre-productives : elles réalisent l’inverse de ce qu’elles promettent.
Face à l’urgence environnementale qui est la nôtre, pouvons-nous nous contenter d’accepter les promesses qui sont faites ?
Ceux qui n’ont pas le pouvoir de promettre aujourd’hui, qui ne participent pas aux promesses innovations et aux promesses écologiques, c’est-à-dire les citoyens, sont à la fois dans une situation de vulnérabilité, à la merci de ceux qui promettent, et d’impuissance politique puisque leur incapacité à être les énonciateurs jette la lumière sur leur manque de pouvoir. Comment reprendre ce pouvoir ?
Nous pourrions esquisser un début de marche à suivre pour se réapproprier l’avenir : donner aux citoyens les moyens pour faire et tenir ces promesses, qu’elles soient promesses innovations ou promesses écologiques. Le débat démocratique doit déborder sur nos discussions d’avenir et de choix techniques.