« Big data, intelligence artificielle, nanotechnologies, biologie de synthèse, robotique, tous ces noms semblent capables d’étayer les scénarios les plus contradictoires : ici, on les accole à d’effrayantes prophéties, là, à de séduisantes promesses. On les associe tantôt à l’idée de salut (avec, en ligne de mire, un « homme nouveau » débarrassé des soucis liés à la matérialité du corps), tantôt on les associe à l’idée de catastrophe, d’abomination, de liquidation de ce que nous, les humains, serions en vérité, au fin fond de nous-mêmes. […] Finalement, que l’on soit techno-prophète ou techno-sceptique, la prémisse du discours est la même : les nouvelles technologies nous conduisent en mode toboggan vers un monde qui n’aura plus grand-chose à voir avec celui dans lequel nous vivons. À quoi ce monde ressemblera-t-il ? » peut-on entendre dans l’emission « Où va l’homo technologicus ? » issue de La conversation scientifique d’Etienne Klein.
A quoi ce monde ressemblera-t-il, à quoi veut-on qu’il ressemble mais aussi et surtout qui le façonnera (ou autrement dit, qui est ce « on ») ?
Lors de l’ESS Forum International (anciennement Les Rencontres du Mont-Blanc) de 2015, une discussion s’était portée sur le croisement entre l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) et la technologie. Le principal constat était que les acteurs du numérique aujourd’hui, bien que parfois revêtant l’expression de « l’économie du partage », ne rentrait en fait pas du tout dans celle-ci de la même façon que les entreprises de l’ESS : alors que pour ce secteur, le partage signifie aussi partage de la propriété et redistribution de la valeur créée ; pour les GAFA et autre leaders du numérique le partage n’a lieu qu’au niveau du consommateur (qui est bien consommateur et non pas acteur de la plateforme). Ainsi, la question posée était : comment permettre à l’ESS de regagner du terrain sur ces sujets technologiques et d’y imposer ses modèles ?
Mais qui peut aujourd’hui détrôner un Google ou un Facebook ? Quelques tentatives de « Google Européen » n’ont pour l’instant pas fait le poids. On ne peut qu’espérer qu’un acteur d’une économie plus solidaire y arrive, mais permettez moi malgré tout d’en douter aujourd’hui : je crois que la bataille du numérique est perdue. Pour autant, la guerre, elle, ne l’est pas, et nous sommes ici en train de passer à côté des batailles qui se jouent réellement. La bataille du numérique a déjà eu lieu, celles de la robotique, des nanotechnologies, de la biologie de synthèse sont en cours: elle font rage en ce moment même. Ces batailles se jouent au sein des laboratoires, malheureusement elles restent invisible pour le secteur de l’ESS !
Qui mettra en place les modèles autour de ces technologies ? Si l’Economie Sociale et Solidaire ne se positionne pas sur ces sujets aujourd’hui, alors j’ai bien peur que dans 30 ans le secteur soit à nouveau désemparé face aux nouveaux leaders. Aujourd’hui, il n’existe pas assez de ponts entre le milieu des sciences et des technologies de pointe et celui d’une économie à visage humain. Or le futur, pour le meilleur ou pour le pire, se façonne aujourd’hui en laboratoire: si les entreprises sociales, les associations, les ONG n’investissent pas les laboratoires, attendons-nous à ce que les mêmes schémas se reproduisent.