
Notre expérience avec les programmes The Future Of – La recherche partenariale au-delà du couple industrie – recherche (1/2)
- Publié par : Mélanie Marcel
- juin 10, 2022
- Temps de lecture : 7 minutes
Diversifier ses partenaires de recherche et de valorisation est crucial. C’est l’ingrédient clé d’une démarche d’innovation réussie. Tout le monde le sait mais ce n’est pas si facile à faire.
Les problèmes sont connus (acteurs aux intérêts divergents, pas le même vocabulaire, pas les mêmes horizons temporels…), les solutions un peu moins. On ne compte plus les conférences et webinaires qui tentent de répondre à la question centrale : comment innover avec succès quand les partenaires sont très divers ?
Depuis 2016, chez SoScience, nous montons des programmes d’innovation multi-acteurs. Nous avons eu des ratés et des succès. Nous avons itéré sur de nombreuses thématiques. De la valorisation de la biomasse en milieu industriel à l’approche de santé environnementale appliquée aux pandémies.
Nous avons conçu et géré 13 programmes sectoriels qui ont réuni près de 400 acteurs. Sur chaque programme, nous réunissons à la fois industriels, chercheurs et acteurs de la société civile. Notre méthodologie unique permet de faire collaborer avec succès ces acteurs : nous sommes à l’origine d’une centaine de collaborations de ce type.
Je vous raconte ici nos expériences, le bon comme le moins bon, et je vous donne surtout les astuces qui vous seront utiles ! Créer de la recherche partenariale à impact ne s’improvise pas. Profitez de la revue la plus complète sur ce programme unique.
Naissance et évolution des programmes The Future Of
Lors de la création de SoScience, nous avons échangé avec de nombreux industriels et institutions de recherche sur leur stratégie de valorisation pour avoir un impact sociétal. Nous avons très vite fait un constat majeur. Pour s’adapter aux transitions industrielles et sociales, aux contraintes et limites planétaires, les acteurs de la recherche et les grandes entreprises doivent transformer leur façon de travailler. L’un de nos partenaires historiques, l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), était dans une véritable réflexion institutionnelle à ce sujet. Toute la question qui se pose est de savoir comment changer les pratiques d’innovation pour mieux répondre aux Objectifs du Développement Durable ? A l’IRD, la réponse passe par la diversification des partenaires : “Dès 2015, nous avons un positionnement multi-acteurs dans la stratégie institutionnelle. Aujourd’hui, c’est aussi le cas dans la stratégie scientifique.” nous rappelle Alexandre Bisquerra, au Service Innovation et Valorisation de l’IRD.
Chez SoScience, nous sommes d’accord. Nous avons une hypothèse forte : pour répondre aux enjeux sociaux et environnementaux, il faut absolument créer un pont entre le monde de l’impact sociétal et celui de la recherche et de sa valorisation.
Le programme The Future Of (TFO) est le premier outil que nous avons développé pour faire cela.
1. Commencer par l’enjeu clé : la diversité des participants
A l’époque un certain nombre de constats émergent :
- mêler des acteurs divers booste la créativité et l’innovation
- les enjeux sociaux et environnementaux ne peuvent pas être adressés sans embarquer la société civile
- les industriels sont de plus en plus ouverts à la recherche de solutions en dehors de leurs murs
- les chercheurs souhaitent s’engager pour les solutions pour la transition mais ont du mal à trouver les bons partenaires
Tous les ingrédients sont là pour créer des consortiums multi-acteurs au service de la transition !
Mais si c’était si facile, tout le monde l’aurait déjà fait. D’ailleurs il y a un grand nombre de tentatives. Incubateurs, écoles, open labs, chacun y va de son programme ou son idée.
Dans les faits, les résultats sont peu probants. Denis Guyonnet, Scientific & Innovation Director chez Diana, en fait le constat: “L’open innovation est un terme très galvaudé. Auprès des incubateurs, tu n’as que les start-ups; auprès des universités, que les académiques. Les initiatives sont bi-latérales. C’est très rare de pouvoir échanger avec tous les acteurs pertinents. Avec le TFO, nous sommes vraiment sur de l’innovation ouverte, ça devient très concret. On peut réunir un ensemble d’acteurs très variés sur l’ensemble de la chaîne de valeur. La plus-value est là.”
Alors comment avons-nous fait ?
Chez SoScience, je vis en 2015 une expérience qui me donne des indices sur le problème. Je suis aux Pays-Bas, invitée à une conférence sur l’innovation responsable. J’y vois une présentation de l’agence nationale qui finance la recherche et l’innovation. Cette dernière relate une tentative de recherche partenariale avec les acteurs de la société civile, qui a échoué. Elle souhaitait réunir acteurs industriels, chercheurs, organismes de la société civile et citoyens autour de la même table pour parler de la transition énergétique. Le sujet avait d’abord été défini avec les sachants : chercheurs et industriels. L’invitation envoyée aux acteurs de la société civile était déjà bien cadrée. Le sujet a été travaillé en amont et les grandes directions technologiques choisies. Il était donc proposé aux citoyens de venir apporter de l’eau au moulin et enrichir la démarche. Or aucune organisation de la société civile n’accepte l’invitation. Personne ne se déplace. L’agence est désemparée et à deux doigts de conclure que les citoyens
- ne sont pas intéressés par le sujet, ou
- sont par nature réticents à travailler avec le secteur privé
Pour moi, le problème est ailleurs. J’ai largement échangé avec des associations et entrepreneurs sociaux. J’ai remarqué que ces acteurs ne veulent pas “passer après” ou “servir de caution” sans être à aucun moment mis au cœur du processus de recherche et d’innovation.
Quand nous décidons de lancer notre propre programme, nous sommes particulièrement attentifs à :
- attirer des acteurs divers, et pour cela parler à tous. Nous abordons toujours la démarche par la problématique sociale ou environnementale, jamais par un choix technologique qui aurait déjà été fait
- mettre tout le monde au même niveau. Chacun peut apporter sa pièce à l’édifice, il n’y a pas une brique plus importante qu’une autre pour faire une maison qui tient debout. Dans nos programmes, toutes les typologies d’acteurs sont intégrées au processus sur un pied d’égalité.
Nous sommes en 2016, nous lançons notre premier TFO.
Le thème : l’alimentation, et en particulier les nouvelles sources de protéines. Nous arrivons à mobiliser largement. Notre discours, humble et accessible, fait mouche. Nous avons dans nos participants Mark Post, chercheur académique, le ponte de la viande artificielle. Mais également, Algama, start-up montante, devenue aujourd’hui incontournable sur le sujets des algues, ou encore EntoMove, projet citoyen autour de la consommation d’insectes. L’appétence des gens à se rencontrer est immense. Les participants sont ravis. Ils veulent continuer les discussions. Côté SoScience, nous nous étions concentrés sur la mise en relation d’acteurs qui n’ont pas d’occasion de se rencontrer, d’échanger librement. Nous n’avions pas pensé à l’après. En catastrophe nous créons un groupe LinkedIn pour faire vivre les conversations. Mais sans ressource humaine dédiée, l’expérience ne fait pas long feu. Sans perspectives données, ces formats resteront ce qu’ils sont : de belles rencontres.
Nous avons fait une petite prouesse en réunissant ces acteurs à partir de rien, mais nous ne sommes pas satisfaits.
On remet l’ouvrage sur le métier.
2. On se rencontre et après ?
Fin 2016 nous lançons notre programme The Future Of Water en partenariat avec l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement). L’IRD a en effet été l’un des pionniers à se lancer dans des programmes d’innovation ouverte multi-acteurs au sein du paysage de la recherche française.
L’efficacité du programme sur la diversification est toujours au rendez-vous: pour Alexandre Bisquerra, “ces programmes nous permettent de trouver les bons relais et les bon acteurs à intégrer dans les collaborations. Nous élargissons aussi nos parties prenantes, notamment auprès des acteurs de l’économie sociale et solidaire.” La méthodologie permet aussi de faire venir des acteurs identifiés que l’institution n’arrive pas à mobiliser par manque de cadre ou outils adaptés: “Sur la thématique de l’agriculture urbaine, le TFO nous a donné le cadre pour faire converger des acteurs qu’on n’aurait pas réussi à intéresser sans ça.”
Mais une fois les bons acteurs dans la pièce, comment les faire collaborer ?
On repositionne nos outils pour créer des consortiums ! Notre objectif : nous ne sortirons pas de la journée de rencontre sans que les participants aient formulé de potentielles collaborations. Cela fonctionne au-delà de nos espérances : en moins d’une journée nous récupérons 102 intentions de collaborer pour 38 participants ! Certains groupes se forment en consortium. Nos outils de création de collaboration fonctionnent.
Malheureusement, nous réalisons très vite que, même formalisées, les collaborations ont du mal à se réaliser si elles ne sont pas soutenues.
En 2017-2018, nous retravaillons à nouveau le format pour notre programme The Future Of Waste, en collaboration avec l’industriel Diana. La formule a bien marché, nous la reproduisons. Mais cette fois, nous introduisons une étape supplémentaire : nous demandons aux consortiums de formaliser leur projet sur des fiches de collaborations. En échange, les projets les plus prometteurs recevront du soutien sur la mise en œuvre. Sur 110 envies de collaborer, nous recevons 20 fiches structurées ! Nous sélectionnons 3 de ces projets pour assurer leur lancement. Pour Denis Guyonnet: “Ce type de programme a des impacts réels: les projets qui en découlent permettent de lever des freins que nous n’arrivions pas à dépasser en interne. Ce sont ces outcomes hyper concrets qui démontre l’intérêt des programmes devant un comité de direction.“ Le pari est gagné: la rencontre abouti sur des projets assez concrets pour apporter une vraie plus-value aux départements R&D, science et innovation d’un groupe industriel.
3. Les partenariats avant tout, la PI ensuite
Au fil des éditions, ce processus d’amélioration continue enrichi nos programmes, avec trois objectifs clairs :
- La diversification des partenaires de recherche et d’innovation. Notre premier but est la rencontre d’acteurs qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble. Nos consortiums réunissent industriels et chercheurs, mais également associations, ONGs, branches de professionnels, entrepreneurs sociaux, acteurs de l’économie sociale et solidaire… Pour Denis Guyonnet, “c’est là qu’est la vraie valeur ajoutée. Utiliser les critères de sélection de SoScience permet une plus grande ouverture à un réseau d’acteurs auquel l’industriel n’a pas accès.”
- Des objectifs d’innovation tournés vers les enjeux du développement durable. Nous ne lançons aucune thématique qui ne soit en réponse directe avec des enjeux sociaux ou environnementaux. Notre méthodologie est pensée pour cela. Malgré nos discussions avec de grands industriels, aux nombreux enjeux techniques ou d’innovation, nous refusons de lancer des programmes sans cet objectif. Nous gardons notre spécificité, qui est le cœur de notre expertise depuis 2014.
- Des collaborations au-delà de la rencontre. Nous ne concevons pas nos programmes comme des lieux d’inspiration ou de débats seulement. La priorité est donnée aux lancements de prototypes, de projets de recherche, d’actions de terrain. Bref, nous ne faisons pas de l’événementiel ni de la communication. Nous lançons des projets, et déployons des actions concrètes entre acteurs.
Ces objectifs clairement définis portent leurs fruits. En 2021 notre méthodologie est reconnue par l’ONU comme l’une des Good Practice for the SDGs, les bonnes pratiques pour atteindre les Objectifs du Développement Durable (ODD). Cette reconnaissance récompense le programme The Future Of Positive Packaging. Lancé en partenariat avec Perrier, c’est alors notre programme le plus important, avec près de 400 experts contactés et 200 candidatures. Son objectif : trouver des alternatives au plastique dans le monde de l’embouteillage. Le programme réunit des acteurs de l’impact – dont des entrepreneurs sociaux très engagés du monde entier, des chercheurs universitaires – apportant des solutions techniques de pointe, et des industriels comme Lesieur, mais également les équipes de Perrier. Ce dernier a une influence considérable sur l’ensemble du secteur. Le potentiel d’impact est gigantesque. Parmi les 3 projets issus du programme: une solution de matériaux bio-sourcés par une entrepreneure sociale au Kenya, mais également l’élimination totale du petit packaging via des solutions d’eau en fût servie en vrac.
Dans ce programme nous rencontrons et levons un des freins les plus communs lorsque l’on travaille avec de grands industriels. La question de la propriété intellectuelle (PI).
Tous les instituts de recherche et universités connaissent ces discussions avec leurs partenaires : la peur de se lancer dans des expériences trop “ouvertes”, la peur de la concurrence ou de l’espionnage industriel. C’est une discussion que nous avons régulièrement avec nos différents partenaires. Les start-ups ne sont d’ailleurs pas en reste ! Certaines ont peur que leurs idées soient siphonnées par les plus gros acteurs. Chacun à des raisons différentes et légitimes de se méfier. Pourtant, chacun a à gagner à collaborer intelligemment.
La richesse de ces programmes est bien plus élevée que le risque perçu. SoScience veille à ce que chaque phase corresponde à un niveau de sécurité adéquat pour les différents participants. La rencontre et la discussion avec de potentiels nouveaux partenaires ne doit pas être freinée sous prétexte de PI. Il est trop tôt pour se poser ces questions lorsque la première rencontre n’a même pas eu lieu. Pourquoi parler contrat de mariage avant le premier rendez-vous ? Quel meilleur moyen pour tuer toute envie de collaborer ? La PI n’est pas un but en soi. Elle n’est qu’un moyen au service d’un but plus grand. Elle doit être utilisée à bon escient au bon moment.
Les industriels qui sont passés par le programme nous dise que cette barrière à l’entrée est finalement utile pour ceux qui osent la dépasser ! Denis Guyonnet nous raconte: “Nous pensions avoir trouvé un partenaire industriel idéal pour notre projet. Lorsqu’il a refusé de participer au TFO, cela nous a dévoilé leur état d’esprit protectionniste. Finalement, leur refus d’entrer dans le TFO nous a évité bien des problèmes par la suite: le temps perdu sur les contrats, les discussions sur la PI, nous savions d’avance que le partenariat n’allait pas aboutir. Avec le TFO, nous n’avons pas seulement identifié des acteurs idéaux qui étaient hors radars pour nous, nous avons aussi rapidement écarté les mauvais profils. Cela nous a fait gagner du temps.”
4. Le financement, un “must-have” ou un “nice to have” ?
De même, attention à ne pas se projeter – ou projeter les participants – trop tôt dans la recherche de financements. Ce type de programme a pour but de créer des collaborations inédites au service des enjeux de transformation et de transition. Rappelez-vous les 3 objectifs cités plus haut ! Attention donc à ne pas se transformer en guichet de financement. Il s’agit bien d’un outil permettant l’émergence et la structuration de projets.
Vous me direz qu’aucun projet ne peut se lancer sans financements. C’est vrai ! C’est à cela que sert le soutien proposé aux collaborations qui se montent. Aller chercher des fonds se fait dans un second temps, et les équipes SoScience – ou les équipes à l’origine de ce type de programme – peuvent aider les projets pour cela. Dans notre récent programme TFO One Health, une nouvelle innovation a fait son apparition à l’initiative de notre partenaire l’IRD. Lors de la sélection des projets lauréats, sont présentées des opportunités et outils de financements qui correspondent à la thématique. Cela permet de renforcer encore le soutien au projets collaboratifs.
Vous me direz là encore qu’il est impossible de mobiliser des acteurs occupés s’ils ne sont pas sûrs d’avoir un financement à la clé. Là, c’est faux. Nous l’avons fait et le faisons quotidiennement. Les clés du succès sont (1) l’alignement des parties prenantes autour d’une problématique bien définie où tout le monde trouve son intérêt et (2) des participants qui ont une réelle envie de collaborer. Le financement des consortiums est important, mais il passe après le “pourquoi” (le sujet) et le “avec qui” (la collaboration).
Denis Guyonnet abonde en ce sens: ”Dans l’industrie, on veut passer trop vite aux actions de terrains. Or sur des sujets complexes, multi-factoriel, multi-acteurs, la phase d’appel à différent acteurs est primordiale. Il faut identifier les enjeux de sa thématique, puis ouvrir largement. Le temps d’échange avec un panel large permet en fait de gagner du temps. Une fois les bons acteurs identifiés, tout avance tellement plus vite.”
Pour résumer :
Phase I : la rencontre
Phase II : la structuration du partenariat puis la PI
Phase III : la recherche de fonds complémentaires
Faire le chemin dans le bon sens et sans brûler d’étapes est le meilleur moyen de ménager sa monture. Et surtout, de s’assurer des collaborations de qualité avec des participants en forme (et non pas drainées par des conversations sans fins).
📣 Dans la partie (2/2) de l’article je vous donne nos apprentissages en 7 points clés.