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- Publié par : Mélanie Marcel
- Temps de lecture : 7 minutes
Combien d’entreprises sociales naissent dans les laboratoires ? Combien d’entreprises sociales sont des leaders technologiques ? Pourquoi est-il important de faire le rapprochement entre ces deux mondes ?
C’est l’heure du désenchantement. Les leaders technologiques de l’économie du partage dans le secteur numérique ont montré leur côté obscur : économie de l’attention, captage de données personnelles à des fins capitalistiques, entraves à la vie démocratique, monopole… Les acteurs de l’économie sociale et solidaire s’interrogent.
Comment permettre à l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) de proposer des modèles alternatifs fondés sur des valeurs de réel de partage de la propriété et redistribution de la valeur créée ?
Mais qui peut aujourd’hui détrôner un Google ou un Facebook ?
On ne peut qu’espérer qu’un acteur d’une économie plus solidaire y arrive, mais permettez-moi malgré tout d’en douter aujourd’hui : je crois que la bataille du numérique est perdue.
Pour autant, la guerre, elle, ne l’est pas. Si la bataille du numérique a déjà eu lieu, celles de la robotique, des nanotechnologies, de la biologie de synthèse sont en cours : elles font rage en ce moment même.
Ces batailles se jouent au sein des laboratoires, malheureusement, elles restent invisibles pour le secteur de l’entrepreneuriat social !
Pour preuve, alors que l’ESS concerne 14% des emplois en France, son action se déploie principalement dans les secteurs de l’emploi social, de l’enseignement, des arts & spectacles, des sports et loisirs et de la finance/assurance [1].
L’industrie, fondée sur la R&D, n’est pas un secteur investi par les acteurs de l’entrepreneuriat social.
La “tech” dans le monde de l’ESS ou de l’”impact” se cantonne au numérique. La recherche scientifique est un angle mort.
Face à un tel constat, est-ce que cela veut dire que recherche scientifique, développement technologique et entrepreneuriat social sont incompatibles ?
L’entrepreneuriat social est hautement compatible avec la recherche scientifique
Ce n’est pas parce que traditionnellement ces secteurs ne travaillent pas ensemble qu’il faut y voir une forme d’incompatibilité de nature irréductible. Le fameux “si ça se devait se faire, ça se serait fait !”.
Pourquoi l’entrepreneuriat social est-il, au contraire, hautement compatible avec la recherche scientifique sur le papier ?
Parce que c’est le propre de l’entrepreneuriat social que de changer les règles du jeu, de faire émerger des modèles plus durables et inclusifs, au service de la société. A ce titre, il est alors impératif d’investir les lieux où se fabrique la société et son futur, c’est-à-dire les laboratoires de recherche.
Les technologies, qui résultent des laboratoires de recherche, sont en effet partout : elles inondent notre quotidien, elles modèlent nos usages, notre organisation en tant que société. Qui met en place les modèles autour du développement de ces technologies ? Aux bénéfices de qui ? Suivant quelles valeurs ? Pour quels objectifs ? Ne nous méprenons pas : les développements technologiques ne résultent pas d’une dynamique de progrès linéaire et autonome, ils sont les résultats de choix politiques.
Si l’heure est à la refondation de nos modèles de société et de notre économie à l’aune de nouvelles valeurs au service de la société, comme s’attache à le faire les acteurs de l’entrepreneuriat social et solidaire, alors la recherche scientifique et les développements technologiques sont à la fois un levier et une matrice dont il faut s’emparer.
Si l’Economie Sociale et Solidaire ne se positionne pas sur ces sujets aujourd’hui, alors j’ai bien peur que dans 30 ans le secteur soit à nouveau désemparé face aux nouveaux leaders. Si les entreprises sociales, les associations, les ONG n’investissent pas les laboratoires, attendons-nous à ce que les mêmes schémas se reproduisent !
Et lorsque je parle d’investir les laboratoires, il ne s’agit pas ici d’un rôle de lanceur d’alerte, de sensibilisation, de médiation ou d’éducation scientifique, non. Je parle de la co-création des technologies de demain, afin d’être le futur « Google » de la biologie de synthèse, mais façon ESS.
Un voeu pieux ? Pas forcément. Certes les modèles de croisement entre cette économie à visage humain et la science restent à inventer, mais des expérimentations existent déjà.
Les entreprises sociales Alg&You et Leka font partie de ces nouveaux hybrides.
2 entreprises qui mêlent innovation scientifique et entrepreneuriat social
Alg&You
Alg&You, entreprise Toulousaine issue de l’association La Voie Bleue et soutenue par le Concours Mondial de l’Innovation, travaille sur les protéines végétales. Son projet est de mettre sur le marché des phytotières – systèmes innovants de production de microalgues alimentaires – pour professionnels et particuliers.
Bien qu’elle soit à la pointe de son domaine et en lien étroit avec le monde de la recherche, le moteur d’Alg&You est de contribuer à des enjeux sociaux et environnementaux sur la question de nos modes de consommation (le consommateur devient producteur de ses propres aliments) et de la sécurité alimentaire (par l’autonomie alimentaire et la mise sur le marché d’un produit très riche nutritionnellement qui peut à terme modifier nos régimes alimentaires pour les rendre plus durables).
Alg&You n’a pas réussi à trouver suffisamment de financements pour développer son projet au niveau industriel et le projet s’est arrêté. Non pas pour raison d’incompatibilité entre les valeurs de l’entrepreneuriat social et l’activité de recherche scientifique, mais parce que leur association n’est pas encouragée et facilitée.
Leka
Leka de son côté développe un jouet robot intelligent pour les enfants ayant des difficultés motrices, intellectuelles, comportementales et sociales. Le robot se veut à la fois ludique et éducatif : il peut jouer avec l’enfant mais permet aussi de travailler la sensorialité, la mobilité et l’interactivité. Il a pour but d’aider ces enfants à s’intégrer et à développer leurs sens tout en améliorant les relations entre parents et enfant.
Cette technologie repose sur la robotique mais comme le dit le fondateur de l’entreprise Lasdislas de Toldi : « Nous ne faisons pas de la robotique parce que nous aimons cette science, nous faisons de la robotique parce que nous avons vu son potentiel pour aider les enfants qui en ont le plus besoin ».
Promouvoir et favoriser l'hybridation entreprise et impact social
C’est pourtant de ces hybridations plus fines entre des acteurs économiques qui souhaitent rester fidèles aux valeurs de l’entrepreneuriat social et le monde de la recherche de pointe dont nous avons besoin. La question des protéines de demain pour une alimentation durable ou la robotique au service de l’inclusion sociale sont seulement deux domaines scientifiques parmi tant d’autres qu’il faut aujourd’hui investir.
Face aux enjeux sociaux et environnementaux, il devient urgent de promouvoir et favoriser ce type d’hybridation en matière de politiques publiques et d’investissements, mais aussi pour adapter un tissu industriel compétitif et durable. Car dans un monde où les limites planétaires sont dépassées, les seules activités industrielles viables demain ne seront pas celles qui tentent de réduire leur impact négatif sur leur “environnement”, mais celles qui développeront des solutions pour résoudre ou atténuer / s’adapter aux contraintes environnementales et sociales.
Est-ce que le pilotage de la recherche et de l’innovation en France et en Europe est-il au service de ces hybridations ? Nous explorons le sujet dans le deuxième article de cette série Entrepreneuriat social & recherche scientifique.
Les chercheurs et les entrepreneurs sociaux peuvent-ils faire quelque chose pour encourager de telles hybridations ? Nous explorons ce sujet dans le deuxième article de cette série sur l’entrepreneuriat social et la recherche scientifique.
[1] selon une étude menée par ESS France (La Chambre française de l’économie sociale et solidaire) et l’Observatoire national de l’ESS
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