Agriculture urbaine : comment répondre aux besoins et aux enjeux des entreprises au-delà de la production alimentaire ?
Table des matières
- Publié par : SoScience
- Temps de lecture : 7 minutes
Retour sur le 7e événement thématique organisé par SoScience le 20 avril 2021 sur le thème de l’agriculture urbaine !
L’agriculture urbaine fait l’objet d’une activité de recherche internationale intense, avec plus de 1000 publications scientifiques par an depuis 2014. En France, 5 grands types de formes d’agriculture urbaine et périurbaine sont présents et reconnus. Christine Aubry, Ingénieure agronome à l’INRAE, Professeure à AgroParisTech, nous dresse le panorama.
- Fermes urbaines et périurbaines: fermes maraichères, surtout en circuit court. On observe 2 phénomènes :
- Une forme de diversification au sein des exploitations agricoles classiques qui développent des ateliers en direction de la ville, elles « s’urbanisent » ainsi en tissant des liens avec les villes
- Une constitution de zones agricoles par les collectivités en zone urbaine, en très forte augmentation, accompagnées par les projets alimentaires territoriaux, le plan de relance du Ministère de l’agriculture et les programmes d’alimentation locale portés par les chambre agricultures
2. Jardins associatifs avec des formes non professionnelles très diverses (jardins partagés, d’insertion, pédagogique) : il s’agit de la première forme d’agriculture urbaine en terme d’urbains touchés. Leurs structures et systèmes techniques sont très variés mais de plus en plus agroécologiques, et apportent une très forte contribution aux liens sociaux mais aussi à la biodiversité et la production alimentaire de proximité. C’est la forme la plus en évolution, avec une énorme demande de la part des habitants !
3. Microfermes urbaines: ce sont de très petites surfaces (inférieure à 1 ha au sol) installées sur les toits en milieu urbain dense, elles sont le plus souvent multifonctionnelles mais peuvent être aussi dans une logique productive, avec des systèmes techniques en plein air, agroécologique ou low tech, avec un modèle économique très hybride (vente, formation, …). Ces dispositifs posent la question de l’environnement urbain et les niveaux de polluants (pollution atmosphérique, sols)
4. Serres urbaines: orientation productive, ce type de dispositif pose des questions d’intégration paysagère et sociale dans le milieu urbain
5. 2 types de Fermes « indoor »:
- Produits de cave, pour produire des champignons, des endives, forte augmentation en France
- Milieu très contrôlé, augmentation faible car pose des questions en termes de modèle économique, concurrence potentielle avec la production classique quand elles font de l’alimentaire, d’efficacité énergétique et environnemental, d’acceptabilité sociétale
La France est bien placée en termes de diversité des systèmes. Les pays européens au nord, et à l’est privilégient le système indoor pour raisons climatiques, mais la France en raison de ses conditions climatiques variés a un gros potentiel dans le développement de l’agriculture urbaine dans sa diversité.
L’agriculture urbaine et autonomie alimentaire des villes
L’agriculture urbaine contribue faiblement aux besoins alimentaires : si toutes les toitures étaient utilisées à Paris pour la production alimentaire (environ 80 ha), cela couvrirait moins de 10% de la consommation de fruits et légumes parisienne, et ce même avec des rendements relativement élevés.
L’intérêt de l’agriculture urbaine et périurbaine réside sur la création de services écosystémiques tels que la rétention d’eau, la valorisation des déchets organiques urbains, la promotion de la biodiversité, le stockage carbone, cruciaux pour assurer la résilience des villes. Ces services rendus par l’agriculture urbaine et périurbaine a été récemment quantifiée par un projet de recherche (SEMOIRS) financé par l’ADEME. L’intérêt de l’agriculture urbaine repose aussi sur la reconnexion des urbains à la nature et les enjeux environnementaux.
L’autonomie des villes passe davantage dans l’évolution de l’agriculture périurbaine : dans certaines villes notamment en région parisienne, une grosse partie de la production des dirigée vers les marchés internationaux et non les marché locaux, cette agriculture pourrait davantage « s’urbaniser » en étant plus en lien avec les villes à proximité.
A noter que si l’autonomie alimentaire des villes via l’agriculture urbaine est discutable en France, ce n’est pas la même donne dans certaines villes des pays du Sud, où 60 à 100% produit de la consommation vient de l’agriculture intra et périurbaine.
Nouvelles productions, nouvelles filières
Les fermes indoor peuvent être adaptées à la création de nouvelles filières de production : la maîtrise de l’environnement peut permettre de maitriser les compositions chimiques des plantes pour des applications pharmaceutiques ou cosmétiques. Ces filières de produits nouveaux peuvent pallier aux défauts de quantité/qualité d’approvisionnements de certaines plantes importées.
Le marché de la fleur dominé par les importations est également un excellent débouché : très forte demande de la part des consommateurs qui dynamise le développement d’exploitations d’agriculture urbaine orientées vers les fleurs coupées, notamment par la valorisation de sols urbains qui ne le sont pas pour la production alimentaire.
La viabilité économique du système indoor est un enjeu majeur : entre fraise, salade, plantes cosmétiques ou cannabis, qu’est-ce qui est le plus intéressant ? Car plus le système est hyper technique, plus le choix des filières devient central !
Towerfarm, entreprise spécialisée dans l’indoor a très vite abandonné par exemple la laitue pas viable économiquement, puis s’est tournée vers les herbes aromatiques car le marché est porteur, lié aux attentes des consommateurs et les plantes cosmétiques ou dites médicinales, avec une plus haute valeur ajoutée, pour aller chercher une plus grande rentabilité et viabilité du modèle économique.
L’industrie cosmétique et pharmaceutique a un enjeu sur l’approvisionnement de ces matières premières en termes de quantité et de qualité. Cultivées et séchées en Asie, elles perdent une bonne partie de leurs principes actifs avant d’arriver en France, sans compter l’empreinte carbone importante pour arriver jusqu’en France. Développer une filière de ces plantes en France permettrait de bénéficier de produits de meilleure qualité, de les transformer sur place à proximité des industries cosmétiques ou de compléments alimentaires, avec une excellente traçabilité. Par exemple, la culture de menthe poivrée pas simplement en plante aromatique, mais aussi pour extraire des molécules d’intérêt.
Le cannabis est une autre piste de débouché éventuel : en France, une prescription expérimentale de médicaments à base de cannabis a été récemment autorisée.
Valoriser les déchets organiques humains
La loi en 2024 obligera à collecter et valoriser l’ensemble des déchets organiques urbains. Des expérimentations sont actuellement menées avec l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) pour tester l’intérêt de ces déchets pour reconstruire des sols fertiles. Des startups et PME se spécialisent sur le compostage en ville (compostage électromécanique comme Upcycle).
On pourrait encore aller plus loin en repensant le lien métabolique ville-agriculture avec la valorisation de l’urine humaine (projet agrocapi) : l’intérêt d’une telle valorisation pour l’épandage sur les terres agricoles a été démontrée par une thèse soutenue en décembre 2020 et il existe d’ores-et-déjà un pain (Boucle d’or) au blé fertilisé uniquement par l’urine humaine ! Cette direction impliquerait de réviser nos bâtiments et adapter nos modes de gestion des déchets.
Le développement de l’agriculture urbaine peut donc modifier beaucoup de nos comportements et pratiques, pas simplement alimentaires !
Découvrez 4 entrepreneurs qui mettent la recherche scientifique au cœur de leur projet d’agriculture urbaine durable !
Indoor Vertical Farming, un environnement maitrisé pour des plantes maitrisées
Towerfarm est une startup opérationnelle depuis 2 ans dans le segment de l’indoor avec 150 plantes au m2. Le concept est de s’installer au plus près des villes pour respecter un circuit le plus court possible. Il ne s’agit pas d’installer des mégafermes, mais de petites unités jusqu’à 100m2 pour produire des plantes dans un ancrage local (pas d’exportation dans d’autres régions).
Comment identifier ces plantes d’intérêt ou qui peuvent avoir besoin de cet environnement maîtrisé ?
En fonction du modèle économique compatible ou non avec le marché et l’offre et la demande. Les plantes aromatiques en indoor possèdent un modèle économique intéressant et les plantes médicinales, sur lesquelles se concentre Towerfarm, qui ne sont pas cultivables en France. Or la demande en complément alimentaire et médicaments est très forte.
A ce jour, le choix des plantes est limité par des demandes entrantes de la part des entreprises (cosmétiques, plante médicinales). Towerfarm cherche un partenaire académique pour développer une approche plus structurée, afin de réaliser une sélection de plantes à partir de différents critères, comme la recherche de certaines propriétés ou le niveau de la demande.
Les avantages de l’indoor :
- Local et circuits courts (en lien avec les valeurs de la société)
- Sans pesticides car milieu contrôlé
- Traçabilité (de la graine au produit fini)
- Uniformité / matière première stable : une fois qu’un protocole de culture a été mis au point pour une plante, on retrouve toujours la même qualité en fin de cycle. Maîtriser l’environnement peut s’avérer précieux alors que les crises agroalimentaires, lié à une baisse de la résilience des écosystèmes agricoles, se font plus nombreuses, apparaissant 2 à 3 fois par an plutôt que tous les 3-4 ans
- Cycles de culture plus court, car la plante bénéficie d’un environnement idéal (température, humidité, nutriments…)
- Le coût de production n’est pas toujours le premier enjeu en fonction des besoins. Quand bien même le coût de production est plus cher, une culture en indoor permet de s’affranchir du lavage et du conditionnement des plantes, un temps gagné précieux pour la confection de plateaux repas en grand nombre dans le secteur de la restauration par exemple !
- Valorisation des co-produits : BCORP, Towerfarm est intéressé par tous les partenariats potentiels avec des entreprises sur ce sujet.
Les défis :
- Identifier les besoins en fonction des cibles: par exemple, la traçabilité peut paraître moins important pour un consommateur de laitue, du moins pas au point de nécessiter un environnement ultra-contrôlé, contrairement à un acteur de l’industrie pharmaceutique ou cosmétique pour qui cet enjeu est central dans sa production
- L’aspect tout-technologiqueet sa consommation d’énergie et matériaux versus une approche plus low tech (en partenariat avec AgroParisTech, Towerfarm va entamer une ACV de son bilan énergétique) mais également l’absence de production de services écosystémiques dans son environnement (les plantes ne participent pas à la biodiversité extérieure, ne drainent pas les sols, etc…)
- Remplacer les engrais minéraux au fort bilan carbone par des engrais organiques dans une démarche circulaire : leur système requiert des engrais liquides, parmi les pistes envisagées : jus de lombricompost ou rotation avec des légumineuses.
Agriculture urbaines et rurales peuvent s’allier pour répondre ensemble à des nouveaux besoins ?
Depuis 2018, Bien Elevées cultive essentiellement du safran sur les toits avec un mode de culture très low tech : en pleine terre dans du substrat en toiture ou en plein pied, sans irrigation, sans intrant, ni de consommation d’énergie.
L’entreprise dispose actuellement de 5 terrasses à Paris et en région parisienne, représentant une surface d’environ 2000 m2. 3 nouvelles terrasses vont être installées à l’été 2021, permettant de doubler la surface. La moitié des terrasses sont installées en partenariat avec des collectivités, et l’autre avec les entreprises.
Pourquoi avoir choisi le safran dans un dispositif d’agriculture urbaine ?
- Son intérêt botanique : la culture sans irrigation est possible grâce au cycle inversé du safran par rapport à d’autres plantes (en dormance l’été ne nécessitant pas d’apport artificiel d’eau)
- Sa forte valeur ajoutée : le prix de l’épice (issue des pistils des fleurs du safran) au gramme est très élevé
- Une solution simple plug & play, pas de travaux nécessaire pour installer une culture sur une toiture
- Une offre limitée en France : 90% de la consommation française de safran est importée, il n’y a donc pas de concurrence avec les agriculteurs français
- Valorisation des co-produits : en particulier les pétales des fleurs de safran, riches en actifs médicinaux. Bien Elevées a lancé en 2021 une collaboration avec un laboratoire et une entreprise cosmétique pour développer une crème antioxydante à partir des pétales de leurs fleurs.
- Une forte demande à visiter les cultures permettant un modèle économique hybride (les visites et les ateliers représentent 50% des revenus de l’entreprise)
Les défis :
- Garantir le prix d’achats des pétales et assurer le rôle de relations clients
- Formaliser des partenariat de recherche pour extraire les principes actifs de leur safran
- Fédérer la filière de safran en France, créer un réseau de safraniers, nécessitant de faire des ponts entre les agriculteurs urbains et ruraux. Les acteurs de l’agriculture urbaine sont fédérés mais les profils et les solutions techniques développées sont divers, les enjeux ne sont pas forcément alignés
- Tests en cours sur d’autres espèces végétales avec les mêmes caractéristiques que le safran, à savoir respecter le cycle de la plante tout en intervenant le moins possible avec des charges d’exploitation faible
Comment créer des boucles de résilience zéro déchets à l’échelle d’un grand site ?
Upcycle est une PME qui valorise les biodéchets (déchets alimentaires, déchets verts) pour produire des fruits, légumes et champignons de qualité dans une approche circulaire et solidaire.
Les avantages/bénéfices de leur solution :
- Avec l’interdiction de la fabrication de nouveaux incinérateurs en France, réduire le volume des ordures ménagères devient une urgence absolue. Une personne en local forme les habitants sur ce qui peut être mis ou non dans les composteurs : restes de tables y compris les déchets carnés, fleurs fanés, packaging compostable sont récoltés dans des sacs spécifiques qui stoppent les odeurs. Un système qui permet de réduire de 20% le volume des poubelles des particuliers et de limiter les odeurs.
- Les composteurs sont vidés par des personnes formées qui se déplacent en vélo et remorque électrique (modèle créé en partenariat avec l’entreprise française K-Ryole)
- Les composteurs sont des réacteurs à bactéries avec une traçabilité automatique permettant de détecter rapidement s’il y a une erreur dans le remplissage et d’optimiser la vitesse et la qualité du compostage
- Le compost frais au bout de 15 jours peut être utilisé en terreau, redonné aux habitants, aux copropriétés ou utilisé en agriculture biologique permettant d’apporter de la fertilité aux sols : c’est l’opportunité de créer un lien avec l’agriculture urbaine et périurbaine!
- La force du système d’Upcycle est la gestion décentralisée des biodéchets, plus performante écologiquement et économiquement(cela coûte moins cher que de prendre un gros camion et d’apporter les biodéchets à un méthaniseur). Gérer une stratégie zéro déchet à l’échelle d’un quartier est plus simple qu’à celle d’une ville ou d’un pays : on sait tout de suite ce qu’il est possible de faire ou non, d’engager de nouvelles stratégies de gestion, les habitants ont plus d’information et de certitudes quant au réel devenir de leurs déchets qu’ils s’appliquent à trier.
- Production locale: tous les composteurs sont conçus et fabriqués en France (usine en construction en Aveyron pour augmenter la production)
- Renforcer lien social: Les collectivités utilisent ce système pour créer également un sentiment de sécurité et de bien commun dans les quartiers : le premier effet que l’on observe est la création de lien social au sein des ateliers, il y a un enjeu de recréer et animer le métabolisme urbain
Les défis :
- Normes sanitaires, les cases ne sont pas conçues pour être cochées… ! Un exemple paradoxal : composter du fumier ne rentre pas dans les normes sanitaires, alors que composter du fumier permet au contraire de réduire davantage les risques sanitaires, comparé à ne rien en faire. La démonstration par la preuve est souvent une stratégie plus efficace.
- Changer les mentalités: il reste beaucoup de travail à faire pour faire évaluer les pratiques, certains acteurs ont du mal à comprendre pourquoi on leur demande d’arrêter de tondre certains espaces par exemple !
Transformer la ville : Sous les fraises
Sous les fraises est une entreprise de l’Economie Sociale et Solidaire fondée par un biologiste et une architecte, issue d’un collectif associatif à l’œuvre depuis une quinzaine d’années et basé à Grenoble.
Les bénéfices :
- Un outil développé en interne – une membrane hydrobiologique composée d’un mélange de laine de mouton et de chanvre, avec des poches de substrat qui permet une production verticale des plantes – et dont l’application est adaptée sur-mesure en fonction des objectifs et des besoins de ses partenaires
- Donner de la valeur aux plantes, de redonner sa place au végétal en ville, et de maintenir les projets de culture dans la durée avec une durabilité financière et écologique.
- Les plantes cultivées (fraises, herbes aromatiques, fleurs, houblon, …) peuvent rejoindre directement les cuisines des chefs, des bars à cocktails, qui recherchent des plantes rares ultra-fraîches ou sont transformées localement (Sous les fraises propose une vingtaine de références dans sa gamme d’épicerie).
- Valoriser la production alimentaire mais aussi tous les services écosystémiques en fonction des demandes : objectifs de biodiversité, captation eau pluviales, gestion des biodéchets, lutte contre les îlots de chaleur urbain, etc.
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