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Quels choix technologiques pour un modèle sociétal durable ?

Quels choix technologiques pour un modèle sociétal durable ?

Table des matières

innovation et progrès technique

Cet article fait suite à la conférence organisée par l’Association des Centraliens « Quels choix technologiques pour une société durable » du 13 avril 2016 en présence d’Etienne Klein (Directeur de recherche au CEA), Olivier Rey (Philosophe), Flore Berlingen ( Zéro Waste France), Philippe Bihouix (auteur du livre: » L’âge du Low-Tech ») et Caroline de Malet (Journaliste Figaro Demain). Il reprend certains éléments du débat apportés par les intervenants ainsi que des réflexions personnelles.

Les promesses de la technologie

Pour Philippe Bihouix, la technologie fait 3 promesses :

  • Promesse d’abondance (nous trouverons de nouvelles sources d’énergie, que nous exploiterons de plus en plus efficacement, avec des matériaux éco-compatible, et un recyclage de moins en moins énergivore. Nous pourrons maintenir notre mode de vie et ne rien changer à notre confort)
  • Promesse des esclaves technologiques (nous n’aurons plus à faire aucune tâche car la technologie nous remplacera : plus besoin de conduire par exemple grâce à la voiture autonome)
  • Promesse « anthropo-augmentiste » (nous allons vivre plus longtemps, mieux et avec des capacités plus importantes)                                                                                               

Or ces promesses ne sont pas nouvelles : on les retrouve déjà au 16ème siècle, dans les discours de Francis Bacon la technologie devait déjà résoudre tous les problèmes connus.

Pour Philippe Bihouix le principal frein à ces promesses est que l’on ajoute des macrosystèmes les uns sur les autres : ainsi notre réseau de télécommunication s’appuie sur des réseaux pré-existants et implique l’utilisation des réseaux de transports existants, et donc des extractions de ressources fossiles. Ainsi il est beaucoup plus difficile de changer entièrement le système et les bases/hypothèses sur lesquelles il est construit que d’empiler des couches supplémentaires. Ces couches nouvelles ne seraient en définitive que des palliatifs temporaires accélérant l’utilisation de ressources et faisant partie d’un cercle vicieux : il faut de plus en plus d’énergie pour extraire les ressources nécessaires à nos technologies et créer de l’énergie demande des ressources qui sont en quantité limité. Ainsi la 3ème révolution industrielle annoncée par Jeremy Rifkin semble impossible dans un monde de ressources finies.

Pour Etienne Klein, les promesses n’engagent heureusement que ceux qui y croient ! Il s’étonne que le transhumanisme fasse autant de convaincus malgré le manque de réflexion philosophique à son fondement (est-ce qu’une vie plus longue est une vie plus heureuse ou au contraire une vie de contraintes et de peur ? Quelle est la valeur de la vie éternelle ? …)

Innovation et progrès

Est-ce que la rhétorique de l’innovation rend justice à la notion de progrès ?

Entre 2007 et 2012 on voit clairement le mot progrès disparaître du discours politique. A contrario, le mot innovation n’a jamais été aussi présent. Cependant, l’innovation est conçue comme un but en soi, qui dans la mythologie moderne va permettre de créer de l’emploi et de la compétitivité : buts essentiels des politiques publiques. La notion de bonheur ou de valeurs est complètement absente des réflexions.

Notre vision de l’innovation est étrangement très ancienne: Etienne Klein a pour habitude de lire à ses étudiants une définition de l’innovation écrite par Francis Bacon au 16ème siècle – ils sont à chaque fois convaincus que le texte est tiré d’une édition récente du journal Le Monde. Or pour Francis Bacon le temps est corruptif : les choses vont en se dégradant et le mal gagne le monde alors que le bien reste constant. L’innovation est ce qu’il faut faire pour gagner la lutte du bien contre le mal, c’est l’action qu’il faut engager pour empêcher que le monde ne se défasse. Ainsi pour nos sociétés l’innovation consiste avant tout à faire les choses autrement pour pouvoir tout faire comme avant (consommer comme avant, commercer comme avant…). Il n’y a pas de remise en question de la société à travers l’innovation.

Il y a des solutions techniques mais il faut aller bien plus loin dans les ambitions

Olivier Rey appuie sur cette notion en rappelant que le rapport Meadows est sorti dans les années 1970 et que notre fonctionnement de société n’a absolument pas changé depuis… Ainsi en 1970 les rapporteurs étaient confiants sur notre capacité à éviter l’effondrement et à agir. Aujourd’hui, ces mêmes auteurs pensent que nous avons dépassé trop de limites et qu’il ne sera pas possible de s’en sortir sans de graves conflits. Pour Olivier Rey, la bonne démarche à adopter se trouve dans l’exemple des villes en transition : des villes qui décident de devenir de plus en plus résiliente dans leur environnement local afin de s’affranchir d’une possible pénurie dans des ressources qu’ils ne contrôlent pas (extraction de pétrole à des milliers de km, productions agroalimentaires – nos aliments font entre 2400 et 5000km en moyenne avant d’être consommés – …)

Et la croissance verte alors ?

Pour Philippe Bihouix, la croissance verte accélère en réalité l’effondrement : les technologies nécessaires à la création d’énergie propre (éolien par exemple) demandent des plastiques et des ressources métalliques rares utilisées dans des alliages complexes où les atomes y sont dispersés. Ces ressources ne peuvent pas être recyclées aujourd’hui :

  • Il y a une perte de matière, certes minime, mais définitive qui ne peut être évitée. Ainsi de la gomme de pneu qui se retrouve sur le bitume : nous n’irons jamais récupérer ces pertes entropiques de matériaux.
  • Nous utilisons aussi une dispersion volontaire qui rend le recyclage difficile voire impossible. Ainsi le titane est essentiellement utilisé sous forme de dioxyde de titane (TiO2) comme colorant blanc. Irons-nous le récupérer dans les peintures des murs et des carrosseries de voitures ?
  • Finalement, même si la matière est recyclée nous perdons la fonctionnalité. Ainsi des alliages complexes avec des métaux rares qui se retrouveront bétonnés sur un chantier de construction ou encore, rappelle Flore Berlingen, des gobelets en plastiques qui se transforment en banc en PVC.         

Moins de 1% des métaux sont aujourd’hui recyclés. Il semble donc compromis de tout miser sur la croissance verte, dont la réflexion se base aujourd’hui sur le monocritère du climat et qui oublie la finitude des ressources. Comment pourrait-on parler de voiture propre alors que nous misons tout sur la puissance et la taille des véhicules, que les peintures utilisées, l’électronique ou l’habitacle font appel à des métaux et du plastique qui ne seront jamais réutilisés ? Voilà ce qu’est la high-tech : pouvoir changer l’angle de son rétroviseur à l’aide d’un bouton, ne pas pouvoir démarrer sa voiture si le système électronique se grippe. Pour Philippe Bihouix, il faut passer à la low-tech : des voitures plus légères, plus petites et moins électroniques. Y perdrons-nous vraiment en confort ?

De même des exemples donnés à la fin de la conférence : des chaussettes anti-odeur (contenant des particules d’argent), un bikini connecté pour connaitre son exposition au soleil, un distributeur de croquette automatique pour chat connecté… Quelle est la réelle utilité de ces innovations ? Y gagne-t-on vraiment en confort ? Qu’y perd-t-on sans s’en rendre compte ?

Est-on capable d'orienter l'innovation et lui donner corps avec des valeurs ?

Malheureusement voilà ce qui est aujourd’hui attendu de l’innovation : utiliser des potentialités scientifiques et rencontrer un marché. Nous devons nous demander si cela est vraiment suffisant. La high-tech sert à augmenter la productivité (à nouveau un critère unique) mais est-ce que ces choix technologiques basés sur la productivité sont intelligents d’un point de social ? Comment remettre les valeurs au cœur de l’innovation ? Pourrait-on faire de l’innovation intelligente ?

La piste évoquée par Philippe Bihouix est à mes yeux intéressante, pondérée et loin d’être mortifère: faire une balance sensée entre la high-tech là où elle est réellement créatrice de valeur (une machine IRM par exemple créée plus de valeur sociale qu’une voiture entièrement électronique) et la low-tech. Ces nouveaux choix ne signifient pas forcément y perdre en confort : il n’y pas de meilleur café par exemple que celui moulu à la main le matin même et on ne fait pas plus low-tech. Et pour les applications où l’électronique est indispensable, on peut imaginer des technologies en transition entre ces deux pôles: difficile de s’imaginer sans smartphone aujourd’hui mais FairPhone propose un téléphone modulaire moins gourmand en électronique et conçu pour durer !

Olivier Rey rappelle cependant le lien intime entre les avancées technologiques, l’armement et la puissance politique. Alors que nous vivons dans un monde globalisé, est-ce qu’un peuple pourrait se permettre de choisir les low-tech, de choisir un mode de développement basé sur le bonheur et non pas sur la productivité, d’orienter l’innovation vers des implications sociales positives, sans se mettre en situation de danger ? Un peuple qui décrocherait de la piste prise globalement prendrait-il le risque d’être vassalisé par les autres ?

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